Les mains dans l'argile : toi, nous et la leucémie # 21
L’hôpital, dans mon souvenir, ce sont ces nuits hachées par
des hurlements de douleur, par les sanglots de peur et par le murmure des
parents. Ce sont de grands espaces vitrés, un ascenseur qui dit « premier
étage », c’est une odeur indéfinissable de nourriture et de médicaments.
L’hôpital, c’est parfois aussi les clowns qui viennent vous distraire, les
volontaires des Blouse rose avec leur bonne volonté et leur manque d’à-propos.
C’est parfois les joueurs de l’O.L ou le vainqueur d’une émission de cuisine, si
beau, que les ados se pâment et revêtent leur plus belle perruque.
Ce sont les familles qui font bravement bonne figure, ce
sont les parents qui se cachent pour pleurer. Ce sont des parents que l’on
croise parfois et qui ont le regard en-dedans. Ce sont les stickers colorés
collés sur les murs blancs, l’affiche-témoignage collée par un ancien patient
aujourd’hui champion de ski. C’est la vie en-dehors.
C’est la bataille pour avoir un lit pliant, c’est le
fauteuil recouvert d’un plastique corail qui colle aux fesses. Ce sont ces
enfants, graciles et gracieux, aux cranes nus, aux visages sans sourcil, qui
paraissent si disproportionnés par rapport à leurs corps meurtris. L’hôpital,
c’est le couloir du sous-sol et sa bonne odeur de lessive, c’est le poisson
rouge de la cantine et la bonne-humeur inaltérable de Valérie, qui s’occupe de
l’animation. C’est le baby-foot de la salle des ados, c’est le cours de
peinture du jeudi. L’hôpital, c’est le baril de kapla, le jouet qui dit
« livraison express », le livre japonais sur les chasse-neige, les
galettes de maïs que tu croques et le film de Cars, convoqué pour chaque
ponction lombaire.
Après chaque séance de chimio, il faut faire une ponction
lombaire, histoire de vérifier qu’il n’y a plus de cellules anormales dans le
liquide céphalo-rachidien et d’en profiter d’injecter une dose de produit si
jamais quelques-unes s’y cachent encore.
Tu es résigné, ton oreiller entre les bras, tu présentes ton
dos. On retient notre souffle. Et c’est fini. La gageure alors est de te
convaincre à rester allongé les deux heures qui suivent.
Mais dans la foule des internes, il y en a une qui ne
parvient pas à les faire. On entend des hurlements dans les chambres voisines.
On se renseigne, fébriles, pour savoir qui te piquera.
Un jour, elle te piquera 7 fois sans succès, tandis que
toujours plus d’aides-soignantes te maintiennent fermement, tandis que tu
défailles de douleur. Nous nous sommes opposés à ce qu’elle fasse un essai
supplémentaire et la chef de clinique est arrivée pour pratiquer ce geste avec
assurance, douceur et rapidité.
Au cours de ces heures de repos obligatoire, je me glisse
parfois à coté de toi et nous somnolons enlacés. Tu es livide, les yeux cernés
de mauve, tu es menu, tu exhales par tous tes pores une odeur de chimio, tu as
un sourire extraordinaire. Je crois que tu as été heureux cet été-là, entouré
de tes parents et de tes grands-parents, avec des montagnes de livres et une
salle de jeux.
Je crois aussi qu'il a été heureux! C'est ce que je perçois depuis que je lis tes articles sur votre histoire car j'ai souvent les larmes aux yeux mais j'ai aussi eux des sourires sur certains passages. Bises
RépondreSupprimerJe suis convaincue également qu'il a été heureux... heureux de vous avoir, heureux comme un jeune môme qui traverse un drame, heureux pour avoir la force de s'en sortir.... encore un grand bravo !
RépondreSupprimerLes mains dans l argile des jours hospitaliers comme ils sont... Il faut du temps je le sais aussi d experience,pour oser se dire que là aussi il y a eu du bonheur à partager et a décrire.
RépondreSupprimerQuand on ne connaît pas la maladie et le milieu hospitalier, on ne s'imagine pas que des familles puissent traverser des moments aussi difficiles.
RépondreSupprimerBravo pour ce que tu écris !
Bises
Cette histoire de ponction tentée sept fois me choque terriblement. Je n'aurais jamais imaginé ça possible.
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