Courir le monde - être une femme en voyage, eux, moi et les autres (2)

Le deuxième volet de cette série d'articles "être une femme en voyage" s'interroge sur les relations avec les habitants ou les autres voyageurs. Cette réflexion dépasse le cadre du voyage.


Je me demande toujours quand on rencontre quelqu'un, n'importe qui, quels mécanismes, quelles histoires, font qu'il s'adresse à Amaury. Ou à moi. Ou à nous deux.

Il y a le cas classique du garagiste polonais qui s'adresse à Amaury pour la voiture et à moi pour me proposer d'emmener les enfants dans un endroit où ils pourront jouer. On devine le raisonnement.
Mais pour quelqu'un croisé sur un chemin de montagne? Pour des gens croisés au marché?

Globalement, j'ai remarqué que les femmes s'adressent aux femmes et se gardent bien d'entrer en relation avec un homme.
Globalement, je suis allée demander des renseignements parce qu'on répond plus facilement à une pauvre femme perdue  ( et puis, c'est vrai qu'elles n'ont pas le sens de l'orientation ;-)).
Mais je suis aussi allée demander des renseignements parce qu'Amaury a peur de faire peur. Surtout dans des lieux reculés ou lorsque la nuit commence à gagner.
Globalement, j'ai remarqué l'impact très positif d'avoir ses enfants avec soi quand on pose une question ( sauf à 2 endroits en Roumanie où l'on m'a indiqué que les enfants n'étaient pas les bienvenus).
J'ai remarqué aussi que le lieu où nous étions avait également une influence. Dans une aire de jeux, dans un magasin, on s'adresse à moi. Dehors ou dans un restaurant, on s'adresse à Amaury.

Discuter avec d'autres voyageurs est bien plus simple. A croire que l'expérience du voyage transcende genres, âges et nationalités. La discussion avec un voyageur répond à un schéma précis : tu viens d'où? tu vas où? Et toutes les aventures contenues entre ces 2 questions.
Discuter avec des randonneurs quand on randonne, avec des cyclistes quand on pédale, est bien plus simple. La communauté d'expérience crée une passerelle qui permet de s'exprimer sans filtre.

En fait, je crois que communiquer est compliqué. Et encore plus avec des personnes ayant une autre culture. Nous charrions tellement d'expériences et tellement de préjugés qu'il est difficile d'aborder quelqu'un authentiquement.
Ces filtres nous conduisent à communiquer en prenant le moins de risques possibles et en utilisant donc des schémas simples. Les femmes parlent aux femmes de quelque chose qu'elles ont probablement en commun, les enfants, les courses, la cuisine, du "dedans". Les hommes parlent aux hommes de la voiture, du déplacement, du dehors.
J'aimerais y voir une délicatesse, une attention portée à autrui pour ne pas le blesser. Mais je me demande si ce n'est pas tout simplement les stigmates de 2000 ans de patriarcat.

Je crois que mon article est un peu confus. Mais je suis curieuse quand même de lire vos réflexions sur ce sujet.

Commentaires

  1. Non non c'est loin d'être confus.
    C'est super intéressant.
    Et un peu effrayant quand on s'interroge sur les schémas mentaux qui aboutissent à ce que tu constates…
    Je suis d'accord avec toi : communiquer est extrêmement difficile. Quand on sort de son petit monde on a l'impression d'aller vers la grande aventure mais finalement on "rencontre" souvent des gens de son propre cercle :
    - par affinité/expérience : randonneur/voyageur/cycliste/amateur de brocantes/pêcheur/parents ;
    - par âge / j'ai pas d'exemple à citer mais clairement un jeune surfeur qui va en vacances en van au Portugal rencontrera de jeunes surfeurs et rarement des retraités en camping-car parce qu'ils ne s'arrêtent pas au même endroit, ne fréquentent pas les mêmes lieux…
    - par sexe : là c'est super évident !
    - par genre familial : par exemple je suis une femme sans enfant : la première question qu'une femme rencontrée en dehors de tout cercle d'affinité/d'expérience me posera c'est si j'ai des enfants et comme la réponse est non (c'est un peu brutal mais bon je vais pas lui expliquer non plus de but en blanc le pourquoi du comment !!), ça coupe net l'autre dans sa conversation : pourtant j'ai d'autres choses à raconter et je veux bien entendre ses histoire d'enfants si ça nous permet d'entrer en communication !
    C'est tellement difficile de sortir de son horizon, même si on part à des km.
    Moi j'ai la chance de faire un travail qui me fait entrer en contact avec des gens que je ne rencontrerai clairement pas ailleurs/autrement. Mais ce sont des rencontres "d'intérêt", ce qui biaise la rencontre. Des fois j'ai la chance de poursuivre la rencontre et en apprendre d'avantage (au-delà de mon cercle immédiat d'intérêt professionnel)… c'est pour ça que j'aime bien mon travail : il me permet un premier lien vers des gens auxquels je n'aurai pas accès autrement…
    Je ne suis pas sure d'avoir été claire ?
    En tout cas j'adore tes réflexions sur ton voyage (heu j'aime aussi beaucoup ta quête du slip parfait hein, ne nous méprenons pas !!!;-) )

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  2. Article très intéressant, Isabelle. Je crois qu’effectivement la communication est très compliquée. Qu'il nous faut toujours trouver un peu de soi en l'autre pour oser rencontrer et communiquer. Comme si nous avions besoin d'avoir des points communs pour se connaitre, pour se comprendre.
    Alors, je ne saurais dire si 2000 ans de patriarcat jouent également, c'est fort probable; mais je crois qu'on cherche surtout ce qui va pouvoir nous lier à l'autre pour créer une connexion et pouvoir se livrer sans crainte.

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    1. C'est exactement ca " trouver un peu de soi en l'autre" : merci pour cette belle formule

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    2. C'est un sujet si vaste, quand on se regarde dans un miroir, qu'est-ce qu'on voit ? Qui voit-on ? Dans mon cas je vois parfois mon image du moment, parfois une petite fille d'il y a longtemps, parfois une vieille femme, parfois une autre, quand je regarde l'autre, je vois plusieurs personnes en une seule, ça n'est jamais simple, pour moi une image, une représentation n'est jamais univoque. Il en est de même quand je m'adresse à une personne plutôt qu'une autre, les sentiments et impressions mêlées se précipitent en même temps dans le moment de l'adresse, je peux par exemple m'adresser plutôt à la femme parce que son homme me plaît et que je ne voudrai s mettre aucune trace d’ambiguïté dans le moment, parfois je m'adresse à la femme parce qu'elle ne me plait pas ou me dérange et que j'ai envie de contrer cette impression en créant un lien avec elle, par le regard, par la parole, parfois je parle à n'importe qui, sans voir à qui je m'adresse, sans considérer vraiment la personne parce que j'ai la tête ailleurs, que je pense à autre chose ou à quelqu'un d'autre en même temps. Je crois que sous la surface des raisons qui ont qu'on s'adresse à tel ou telle sur tel ou tel sujet il y a un monde, deux mondes, trois, qui palpitent et jaillissent parfois en éclat, ou pas.

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    3. J'aime beaucoup la manière dont tu le formules. C'est très poétique. Merci!

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  3. Je comprends tout à fait ce que tu dis :-)

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