Les mains dans l'argile : toi, nous et la leucémie #19
On t’a posé une troisième voie centrale, sur le torse, à
gauche. Pour qu’elle tienne bien, on l’a attachée avec nombre de points de
suture.
Tous les 5 jours,
quel que soit ton état, il faut refaire le pansement parfaitement
hermétique qui protège ta voie centrale, un accès direct à ton cœur, de
l’extérieur.
C’est un moment éprouvant où tu te débats en hurlant de
douleur. Le personnel médical nous demande de te maintenir fermement. Nous
joignons tes forces pour t’immobiliser tandis que tu nous regardes les yeux
plein de larmes.
Les larmes me montent aux yeux, rien qu’à cette évocation.
Les larmes me montent aux yeux, rien qu’à cette évocation.
Les médecins nous soutiennent que l’opération est indolore.
A t’entendre, on refuse de les croire. Et Louis, un autre enfant-héros, nous
confie que changer un pansement, c’est sentir un couteau se planter dans son
cœur, c’est sentir le long fil de plastique rigide attaquer la veine dans
lequel il est inséré, c’est insupportable. Et pourtant, changement de
pansement après changement de pansement, nous te tenons fermement en murmurant
des mots d’amours car un pansement non-hermétique, c’est l’infection
assurée. Et sans défense immunitaire, l’issue est garantie. Alors entre tes
yeux plein de reproche et le risque de te voir emporté par une infection, notre
camp est choisi.
Il est temps de finaliser mon inscription à la maternité. Je
suis supposée accoucher début septembre. Quelle que soit la date, il est
probable que Papa et toi soyez à l’hôpital et qu’il faille que je fasse face à
la douleur, à l’accouchement et la naissance de ton frère. Seule.
Lorsque je remplis les formulaires et donne ta date de
naissance, je sanglote si fort que l’on me pousse dans le bureau le plus
proche. En catastrophe, on appelle la sage-femme la plus expérimentée et la
psychologue du service. Elles déploient des trésors d’empathie pour me calmer.
Je serais désormais suivie à l’hôpital et entourée de mille précautions.
L’enfant que je porte a été désirée infiniment. Nous l’avons
espéré. Et puis il est arrivé. Et puis nous avons appris que tu étais malade..
Notre énergie toute entière est tournée vers toi. Le bébé
pousse, tente de prendre sa place sans que nous lui accordions la moindre
attention. Nous ne parlons jamais de lui, de son arrivée toute proche.
Je ne fais pas les prises de sang mensuelles, ne prend pas
les cours de préparation à l’accouchement, ne me repose jamais. Ce n’est pas du
déni. Je me sens écartelée entre cette vie qui grandit, qui prend de l’énergie
alors que j’ai besoin de mes ressources pour lutter, avec toi, à chaque
instant, contre la maladie et la mort.
Je regrette tant aujourd’hui que la maladie m’ait volé ces
mois bénis d’attente, ces mois de rêve et d’espérance. Et je me demande quelle
est ma part de responsabilité dans l’hypersensibilité de ton frère, dans son
incapacité chronique à dormir.
Quatre mois
Quatre mois pour
quatre jours de liberté : nous partirons peut-être demain quelques jours dans
nos montagnes (si la journée à l'hôpital se passe bien, si les résultats des
analyses sanguines sont correctes, si le pansement ne tombe pas, si aucune
infection ne se déclare, si les vomissements de Stanislas se calment...). Pour nous,
c'est immense.
Quatre mois pour finir
pour apprivoiser, mais pas pour accepter, cette vie qui n'en est pas une, une
vie hors du monde, une vie hors du temps.
Et constater qu'on ne
s'habitue pas aux souffrances de son enfant. Qu'on ne s'habitue pas non plus
aux statistiques de rémission. 3 enfants sur 4 guérissent du cancer, mais le
quatrième?
Haïr les personnes
bien attentionnées qui vous affirment que 3 sur 4 n'est pas si mal.
Quatre mois pour
constater que le vide s'est fait autour de nous et apprécier d'autant plus ceux
qui sont là jour après jour. Leur dire et les serrer contre nous.
Le mois prochain, nous
serons 4 et une vie nouvelle commencera.
Tu as répondu à ma question dans ce message...
RépondreSupprimerMerci pour ce partage même si je ne peux pas m'empêcher à chacune de mes lectures chez toi sur ce sujet de me sentir curieuse "de savoir"... d'être en quelques sortes "une intruse" dans ces écrits si personnels et douloureux.
Avant que je commence à publier ces souvenirs, Amaury et moi en avions débattu.
SupprimerEt nous avons choisi de le faire, en faire quelque sorte notre memento mori, avec l'espoir aussi que quelqu'un dans une situation terrible y trouve peut-être une raison d'espérer.
Chaque billet est relu attentivement à plusieurs reprises et j'alterne avec des articles plus joyeux qui démontrent la vitalité de notre Stanislas.
Je n'ai encore jamais commenté cette série "Les mains dans l'argile"... trop bouleversée, sûrement, mais surtout, ne sachant quoi écrire d'intelligent, ni surtout de vrai ou d'utile...
RépondreSupprimerTout comme Céline, je me posais depuis le début la question de ta seconde grossesse... Oui, bien sûr, sans doute que votre histoire, vos ressentis, les événements, ont participé à construire la personnalité, les forces et les fragilités de chacun d'entre vous, de Gauthier notamment... Et pourtant, comment parler de ta part de responsabilité ? Tu as lutté quotidiennement pour survivre au pire, pour ne pas sombrer, pour livrer la plus dure des guerres, pour sortir toute ta famille de votre enfer... Déjà qu'en temps normal, il n'est toujours si simple de se projeter pour un enfant à naître, comment le faire alors que l'on ne sait même pas si l'enfant déjà là, bien vivant, le sera encore pour longtemps... Il ne faudrait, je pense, avoir aucune culpabilité ? Personnellement, je suis persuadée que tu n'avais tout simplement pas d'autre choix, pas les moyens de faire autrement, de faire mieux... La terrible nouvelle était venue vous percuter de plein fouet, vous et votre vie, toute entière, y compris votre plus beau projet, et puis chaque jour venait s'ajouter de nouvelles choses à gérer... donc te reposer, penser à l'enfant à naître, vous projeter, risquait, j'imagine, de te fragiliser trop, de te faire sombrer peut-être, et il fallait rester dans le quotidien si terrible pour affronter tout ce qui continuait de survenir... tout cela pour l'avenir, pour votre famille, et donc pour vos deux enfants... J'espère sincèrement, même si je le comprends, que ce sentiment de culpabilité, qui semble naturel, ne te suivra pas trop longtemps, pas trop lourdement...
Merci pour ce partage qui me touche tant, ce courage que j'admire.
Bon cheminement, belle continuation à toi, à vous
Mélanie
coucou isabelle, je crois te l'avoir déjà dit, mais je te trouve ton style très beau quant u écris sur Stanislas et votre souffrance. je prends ce partage comme un pur acte de générosité. je me suis mise au yoga depuis quelques mois avec un dvd! bonnes fêtes de fin d'années à vous 4 et à très bientôt. Aude
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