Nulle part chez moi

Tu rentres chez toi pour Noël ? La question anodine et polie me plonge dans une grande agitation. 
Je vis et je travaille en Île de France. Mon cœur est sur les crêtes vosgiennes ou sur les chemins d'Avoriaz. Mes racines familiales dans le Cantal.

Je n'ai pas choisi de vivre en Île de France. J'y reste parce que mon travail s'y trouve. Je n'aime pas la foule, le bruit incessant, l'agressivité des espaces commerciaux, les derniers lambeaux de nature qu'on arrive encore année après année à abîmer, le ciel gris si bas quelque soit la saison...Ce n'est pas chez moi. 

Mes parents ont vendu la maison dans laquelle j'ai grandi. Et Lyon porte les traces de la très longue maladie de S. Ce n'est plus chez moi.

Je n'ai jamais passé plus de quelques jours dans le Cantal. Et la maison est remplie d'injonctions. Du temps de ma grand-mère, on ne pouvait pas s'asseoir sur les chaises bleues de crainte de les abîmer. Aujourd'hui, on ne peut pas y laisser une paire de chaussures de randonnée parce que elle est partagée. Ce n'est pas chez moi.

J'aime Avoriaz et la vallée de Morzine. Mais son développement induit l'exploitation de la montagne, la domination des espaces naturels. L'avènement du télétravail a transformé les hameaux montagnards en banlieue de Londres, de Bruxelles ou de Paris. Ce ne sera jamais chez moi.

J'envie ceux qui ont un chez eux, ceux qui appartiennent à un lieu, ceux pour qui c'est évident.

J'aime les Hautes Vosges. J'ai envie d'y vivre une partie de ma vie. J'ai envie de contribuer à l'existence et au fonctionnement de ma vallée. Loin des commentaires haineux sur "les parisiens qui s'approprient les campagnes" (ce qui est vrai aussi), je tisse des liens avec mes voisins et ceux ci préfèrent de loin une maison de parisiens à une maison abandonnée : celle avec qui j'échange confiture de mûres contre gelée de sureau, celle que j'emmènerai aux concerts cet été parce que son mari n'a pas envie d'y aller,...je fais travailler des artisans locaux. J'aimerais que là-bas, ce soit chez moi.

Et vous, c'est où chez vous ? 

Commentaires

  1. Tous tes articles portent toujours à la réflexion, ce que tu cherches, je pense d'ailleurs. Dans celui-ci, je suis interrogative. Avant de venir l'an passé dans les Vosges, tu avais arpenté l'Europe entière et la France. Mais tu ne parlais guère des Vosges. Et l'été 2021, tu y passé tes vacances. Et hop, c'est devenu comme ton "port" d'attache. Un déclic?
    Je suis née dans les Vosges, je les arpente chaque semaine. Mon mari est Normand et a appris à les aimer, mais au fil des années. Je trouve que c'est une région qui se mérite et qui ne s'apprivoise qu'au fil du temps. J'aime être charmée par un détail qui me happe loin des sentiers battus. Mais ce sentiment s'intensifie les années passant. Ce n'est plus le grandiose qui m'attire mais l'impression d'appartenir à ces paysages. Je fais partie de cette nature, par tous les temps, et surtout loin de la foule. J'ai du mal à accepter l'idée que l'on puisse faire sienne cette région en aussi peu de temps. Peut-être me trouveras-tu intolérante, ce n'est pas le cas. Mais cela me questionne.
    Merci encore pour la richesse de tes réflexions
    Anne

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  2. Les parisiens ou habitants de l'île de France s'y sentent rarement chez eux, si ? Apres 10 ans de nomadisme, chez moi, c'est là où sont mon mari, mes enfants, et ma machine à coudre. Peu importe la géographie. Et c'est aussi un peu là où sont mes parents ou mes beaux parents, peu importe la maison. Mais en fait c'est aussi là on on est heureux. Je comprends tout à fait les stigmates que porte Lyon dans ton coeur. Cet été, nous sommes retournés avec mon mari là où nous étions pendant ma première fausse couche. Des montagnes absolument magnifique, mais la douleur de ces instants était cachée derrière chaque arbre, je ne sais pas si j'arriverai un jour à me réhabituer à ces lieux, j'y trainerai peut être à vie une pierre au fond de l'estomac.

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  3. Je trouve drôle de vouloir faire un endroit « sien » et c’est drôle aussi que d’autres évaluent si l’endroit est légitimement ou pas « à l’autre ». Je suis arrivée ici via Instagram d’où je te suis… J’ai été interpellée par ta publi… Je crois que j’imaginais un truc « nulle part chez moi, et bien partout »… Je suis originaire aussi d’ile de France, j’y vis et y ai toujours vécu. C’est à la fois chez moi et pas chez moi… Comme toi, trop de monde, d’agitation… Même si c’est dans une zone privilégiée encore très verte… Mais tout un tas de raisons font que j’y suis plutôt bien.
    Mon cœur se sent chez lui dans la région de mon grand-père, en province, à la campagne. Est ce que j’en fais cette région mienne? Non… Ne serait il pas plus juste d’aimer un endroit sans pour autant vouloir le posséder plus ou moins que quelqu’un d’autre?

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  4. Je te rejoins sur la maison des grands parents : chez ma grand mère il ne fallait pas toucher aux murs ni aux rideaux, entre autres injonctions. J'ai fini par détester le midi (de la France) et le raisin, alors que ce sont mes origines, et rien ne me fait moins me sentir chez moi.
    Par contre, je me suis rendue compte au fil du temps que je faisais une distinction entre le "chez moi" et l'endroit où il se trouvait. Je me sens chez moi dans un lieu que j'ai aménagé, pensé, qui contient mes affaires, et qui est organisé (un minimum). Cet endroit peut être un appartement minuscule loué de l'autre côté du monde, un maison qui m'appartient ou tout simplement ma petite tente. Par contre, en ce qui concerne l'environnement, j'ai beaucoup plus de mal à me sentir chez moi, comme toi je le cherche encore un peu. J'ai tellement bougé que je ne suis réellement de nulle part. Je crois que j'ai besoin de nature, d'espaces, d'amis proches, et d'appartenir à une communauté engagée. Je rêve de liberté, de mer & de forêts :)

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  5. Comme votre réflexion fait écho...
    Chez moi, où est-ce, depuis que la maison de ma grand-mère est à quelqu'un d'autre?

    Est-ce toujours le coin du sud de la France où je suis née? Je dis "chez moi" en en parlant, mais cela fait 5 ans que je n'ai pas pu y aller, et je n'y ai plus de lieu précis où je sois "à la maison". Quand je suis vers les étangs... c'est chez moi, de toutes mes fibres, et j'en suis en exil en même temps.
    La ville où je vis - qui est rattachée à ces mauvais souvenirs pour vous- est-ce que chez moi? Elle me reste étrangère, et pourtant, depuis plus de 10 ans, j'y ai tissé de la familiarité aussi.
    Et l'appartement? "Chez moi", c'est censé être mon (petit) appartement, où sont ma bibliothèque et la majorité de mes affaires, mais en réalité "à la maison", c'est chez mon compagnon (un autre petit appartement, pas loin du mien), où je vis en permanence. Et dans cet autre appartement, il y a des lieux qui sont à lieu (son bureau), à moi (son fauteuil, que je me suis approprié) et à nous (on a refait le lit cet été, ensemble).
    Parfois, j'ai l'impression que "chez moi" se réduit à mon fauteuil - qui est à lui. Parfois, c'est tout cela ensemble (et les livres - car je suis "chez moi" aussi dans des textes). Parfois, je me dis que je racine quand même pas mal en terre lyonnaise. Parfois, "chez moi" c'est seulement mon corps - et ça a été un long cheminement/combat d'en arriver là.

    Je pense aussi que vous avez raison, et que "chez soi", ce sont les liens qu'on tisse avec une communauté. Je me sens un tout petit peu plus "à la maison" dans l'appartement que nous louons chaque année en Savoie depuis que la voisine me dit bonjour quand j'étends le linge (il a fallu 10 ans...) Pour autant, je suis bien trop timide (et encore trop malade) pour tisser ces liens-là.

    Encore un sujet riche Lathélize! Merci beaucoup!

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  6. Ce que je trouve compliqué, dans le chez sois, c’est que quelqu’un, qui que ce soit, viendra toujours questionner notre légitimité a utiliser le possessif. Du coup, on n’ose pas, ou mal avec plein de précautions. Moi je me sens chez moi à plein d’endroits, mais il y a toujours des gens qui y seront plus chez eux que moi, alors est ce que ça peut être aussi chez moi? Alors déjà, je me sens bien là où l’on me fait me sentir bien :)
    Madeleine

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  7. Que j'aime lire tes réflexions et mots. Nous avons, comme beaucoup, souvent déménagé pour le travail, acheté des maisons puis changé de région. A chaque fois que nous quittons une région, mes souvenirs sont tellement riches que j'aime à voyager mentalement dans une certaine nostalgie - parfois cela me rend triste, car tout me manque; mais souvent je suis très heureuse d'avoir ces souvenirs, ces paysages, ces odeurs, ces lieux arpentés. Je crois que je me sens chez moi et ancrée en moi, mes racines se déploient à chaque pas, chaque voyage, chaque rencontre.
    Roxanne

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  8. "Chez moi " c'est la Terre entière ! Les déménagements ont commencé bébé alors que je n'en avais pas une grande conscience et se sont poursuivi tout au long de ma vie de jeune adulte . Puis une accalmie d'une trentaine d'années ,pas très heureuse , juste le temps de prendre des habitudes et de s'y perdre .... Et maintenant , une belle éclaircie avec des projets de partance qui redonnent joie et enthousiasme !
    En lisant les différents commentaires ,j'ai perçu que pour beaucoup d'entre nous , le chez soi c'est l'enfance , qu'il est niché au fond de chacun et accessible immédiatement par la magie d'une petite madeleine ....

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  9. En te lisant je me rends compte que j ai de la chance de savoir où c est chez moi. Par delà la maison qui pourrait incarner ce lieu c est l endroit qui reflète mon appartenance. Je vis a 50 km de la où j ai grandi. J ai choisi de rester vivre dans mon "pays" et d y travailler quitte a ne faire carrière dans rien. Chez moi c est "mes" montagnes et la vie qui les entourée. Je suis dans le briançonnais.

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  10. Bonsoir Isabelle,
    vos billets me parlent beaucoup, et les commentaires aussi.
    Je me pose énormément cette question-là, d'où viens-je, d'où suis-je ? ;-))
    L'endroit qui me fait mille fois du bien, c'est la Bretagne,

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    1. mais je ne suis pas partie pour y vivre, parce que le boulot de mon compagnon n'y est pas, et aussi parce que je crois que les loyers n'y sont pas dans nos prix. J'y ressens une grande paix. Mais je vis à Saint-Etienne, que j'adore. Mais qui est si loin de la mer... Mais voilà. J'aime les gens, ici, la créativité ambiante, les événements organisés, et la montagne !
      Je vous souhaite une année 2023 du feu de dieu !
      élisabeth

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  11. Bonjour,

    Ta réflexion me parle beaucoup. J’ai longtemps souffert de ne pas ressentir d’appartenance à l’endroit où je suis née… Paris, ville si cosmopolite et densément peuplée, si excluante aussi. En tant qu’adulte je n’y ai pas trouvé ma place, et c’est finalement cela qui m’a guidé vers mon nouveau lieu de vie dans une autre région. Est-ce que je m’y sens à ma place? Est-ce que je fais ce que j’aime dans ce lieu? Marcher, me baigner, profiter de la ville juste ce qu’il faut. Deux autrices en parlaient justement ici il y a peu :"Bifurquer, déserter : cheminer vers le sauvage " sur https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-de-et-maintenant/bifurquer-deserter-cheminer-vers-le-sauvage-7326100. C’est magnifique de pouvoir choisir son chez soi, une vraie chance quand on le peu, alors ne nous en privons pas !

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