courir le monde - être une femme en voyage, la peur du dehors (1)

Ces articles tournent dans ma tête depuis le début du voyage. Pourquoi? Parce que je me suis rapidement aperçue qu'Amaury et moi ne vivions pas la même expérience, que nous n'avions pas la même façon de lire les lieux et de les occuper, que notre manière d'aborder les gens était différente et que la manière dont ils s'adressaient à nous différait.


Je ne crois pas avoir de scoop mais ce constat m'a paru important à partager. Avec vous mais d'abord avec lui (avec les enfants, c'est encore une autre façon de voyager).

Depuis que, petites filles, nous avons voulu courir le monde, explorer notre jardin, la cour de récréation, notre ville,  on nous a mises en garde contre les dangers du dehors. Nos sœurs, nos mères, nos amies nous ont appris consciemment ou inconsciemment mille techniques pour décoder le paysage, pour détecter les présences et pour en analyser la potentiel dangerosité. Nous avons intégré le fait que nous sommes des proies potentielles.
J'aurais du mal à mettre des mots dessus mais je sais que nous "scannons" les wagons de train avant d'y monter, que nous garons nos voitures le plus près possible des entrées, que nous évitons de donner des informations sur nous à l'inconnu avec lequel on discute,que nous mettons nos capuches et baissons la tête...

Pour toutes ces raisons, lorsqu'on est une femme en voyage, on se met complétement à l'écoute du paysage et de ses occupants, on essaie de lire entre les lignes du paysage. Parce qu'on nous a appris qu'il en allait de notre survie.
Mais cette compréhension du monde est aussi une bénédiction car elle nous met en position de trouver le beau partout, de profiter pleinement, de s'imprégner du dehors.

Amaury  a toujours été plus grand et plus fort que les autres. Il n'a jamais connu l'effroi de celui qui sent piégé. Il voit le monde comme un lieu sûr et les personnes comme des gentils ou des indifférents. Il s'installe dans les lieux sans avoir besoin de les étudier et s'y sent bien.

Nous avons beaucoup voyagé, l'un, l'autre, l'un avec l'autre. Et au départ de notre long périple, nous nous étions donné comme règle absolue "si dans un endroit l'un de nous 4 ne se sent pas à l'aise, fuyons". Nous avons pris l'habitude de faire le tour du camping à pied avant de nous installer.
Une poignée de fois, nous avons fait demi-tour parce que je lui montrais la bouteille d'alcool vide discrètement posée par terre par le gérant avant de nous parler, parce que je lui montrais tel groupe de jeunes en train d'échanger biens ou billets, parce que j'avais repéré une affichette mettant en garde contre telle ou telle chose...

Partout en Europe, dans tous les pays, en ville et à la campagne, je suis partie courir seule. J'ai surmonté l'appréhension pour aller voir ce qu'il y avait au bout de la rue, de l'autre coté de la forêt, après le rocher.
Et je crois que la grande leçon est celle-ci : on nous a appris à avoir peur et on nous a appris les conditions de notre sécurité, il faut qu'on nous apprenne ou que nous apprenons par nous-mêmes à oser, à partir explorer le monde.

Mon admiration est totale pour celles qui partent seule : Gaëlle qui a fait un gigantesque tour d'Europe en vélo, Adeline de Voyages Etc

Qui d'entre vous part seule?


Commentaires

  1. Coucou, merci pour ces mots qui traduisent ce que je ressens mais sans être capable de le poser aussi clairement. Je suis déjà partie seule, pour des petits voyages de quelques jours, en logeant à l'hôtel et j'ai aimé cela mais l'aventure était relative. Nous sommes partis avec mon compagnon 5 mois en Inde et j'étais plus sur le qui vive que lui, je mettais cela sur le compte du caractère mais en te lisant je réalise que cela fait appel à quelque chose de plus profond et d'inconscient. J'admire les femmes qui partent seules, campent seules en forêt par ex, voyagent en solitaire dans des lieux isolés, en te lisant je me demande ce qui fait qu'elles surmontent ces peurs, cette vigilance, les ressentent-elles ? je suis maman d'une fille de 9 ans et la transmission m'interroge, comment ne pas transmettre mes peurs tout en étant consciente des dangers potentiels ...

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    1. Je pense qu'il faut transmettre la prudence mais aussi le gout de l'aventure. Et l'équilibre n'est pas simple :-))

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  2. C'est vrai qu'on nous a appris à nous méfier. C'est presque un automatisme. Mais cela ne doit pas nous empêcher de partir à la découverte de l'autre, du monde.
    Je suis souvent entre peur et audace. Puis je laisse la peur au placard. Parfois quand un endroit m'appelle, surtout les lieux déserts ou retirés.
    Par contre la forêt m'angoisse énormément.
    Tout est apprentissage...

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  3. je ne suis pas entièrement d'accord avec ce point de vue ... Je dirais qu'il y a aussi une composante individuelle, et surtout urbaine à cette peur (le train, le parking ... je n'ai pas du tout ces réflexes-là !). Et il me semble par ailleurs -il faudrait voir dans qq années si c'est vrai- que les petits garçons aussi sont éduqués à se méfier, de nos jours ... Enfin, pour ma part, j'ai l'impression que l'âge joue : d'une certaine manière, je me sens moins vulnérable à l'agression à plus de 40 berges que dans ma vingtaine, non pas dans le sens où je me sens plus forte maintenant, mais juste dans le sens où une "vieille peau" est sûrement moins une proie qu'une "jeune biche" !! (sensation qui n'est pas forcément fondée sur ce que diraient les statistiques, je suppose !). Quant à voyager seule, j'ai voyagé seule mais que dans des villes et pays civilisés et me suis toujours sentie en sécurité, j'imagine que le ressenti n'est pas du tout le même en pleine nature et dans un pays où on ne parle pas la langue, où notre système de communications modernes existe moins ... Bref, tellement de variables que je ne suis pas certaine qu'on puisse dire unanimement que "les femmes se sentent mal dehors" ...

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    1. D'ailleurs, ce n'est pas du tout ce que j'ai écrit! ;-)
      Je pense qu'on apprend aux filles ( mais tu as raison de plus en plus aux garçons aussi) à se méfier. Je pense qu'il faut aussi qu'on apprenne à faire avec et oser partir. Et l'équilibre n'est pas facile.
      (et je pense que l'âge n'a aucune importance en matière de sécurité)

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  4. Ton témoignage est très intéressant, car je ne m'y retrouve pas du tout!
    Je ne ressens pas la peur, pour autant je ne prends pas de risques majeurs.
    Je suis assez d'accord avec papelhilo, c'est peut être une question d'environnement en priorité.
    Peut être aussi que mon attitude ne diffuse pas la peur. Je n'ai jamais crains de partir seule.
    Pour autant , ce grand voyage est une situation particulière, à la rencontre de cultures très variées et différentes. La place de la femme est loin d'être considérée de la même façon partout et je suis certaine qu'une vigilance accrue est nécessaire !

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    1. Je n'ai pas peur mais consciemment ou non, je questionne l'environnement. C'est de la prudence ( et un peu d'expérience aussi).
      Je te rejoins complètement sur l'importance de dégager une impression de calme et de maitrise de la situation.

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  5. Ah c'est drôle, je ne me reconnait pas non plus dans ton témoignage. Il faut dire que petite on m'a appris que la meilleure parade aux personnes qui nous importunent est d'être sure de soi, de répondre poliment et de continuer son chemin. Du coup je n'ai pas vraiment cet inconscient qui scanne le paysage, je pars du principe que tout va bien. Par contre, on m'a aussi appris que dans certains pays, je peux être une proie facile (enfin, c'était sans doute plus vrai quand j'étais enfant) car j'ai la peau claire et que j'ai de bonnes chances d'avoir l'équivalent de 30€ dans ma poche (ce qui peut être le salaire mensuel d'un policier). En fonction du contexte, donc, je fais attention à avoir de petites coupures, à ne pas sortir tout d'un coup, je limite mes déplacements à la nuit tombée...

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  6. Il y a un plus de 20 ans (j'en avais 19 ou 20), je suis partie seule une semaine avec ma petite voiture. J'ai traversé la France d'Est en Ouest, je suis allée voir l'océan et j'ai dormi dans des campings quasi vides (c'était début septembre). Je n'ai pas souvenir d'avoir eu peur.
    Je serai, par contre, incapable de le refaire aujourd'hui. Partir seule, oui. Dormir seule dans une tente, non, j'aurais trop peur.
    Mais y a-t-il plus de risques aujourd'hui qu'il y a 20 ans? Je ne crois pas (et soyons honnête, je suis une proie moins attrayante!!!). C'est peut-être la crainte que j'ai pour mes enfants qui s'exprime aussi?
    A l'époque mon père m'avait dit "ne dis rien à ta mère, tu l'appelles quand tu es là-bas, bien arrivée, sinon elle va avoir peur". Je n'avais pas compris à l'époque. Maintenant, je comprends...
    Cette peur n'est peut-être pas rationnelle, peut-être le fruit d'une surmédiatisation de ce qui peut arriver aux femmes: aux enfants ?

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    1. Partir seule m'arrive très fréquemment, essentiellement pour le boulot d'ailleurs.
      A 17 ans, je suis partie avec mon frère de 15 marcher de la Bourboule à Aurillac, avec une boussole et un peu d'argent. Je le referai volontiers même seule mais je prendrai beaucoup de précaution pour installer mon bivouac...
      Merci pour ton témoignage : je crois que tu tiens une explication avec la maternité et notre propre peur pour nos enfants

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