les mains dans l'argile : toi, nous et la leucémie # 40
L’été est arrivé. Nous avons regardé les étudiants emballer
leurs affaires et déménager, nous avons épié les familles, croulant sous les
bagages, fermer leurs appartements et partir.
Et nous avons décidé de partir à notre tour, de rejoindre
nos montagnes, en dépit de ta santé chancelante et des travaux qui ont lieu
là-bas, coupant tous moyens de transport autre que la voiture.
C’est l’hiver qui nous accueille tout en haut de nos
sommets, le brouillard, le vent et l’humidité. Nous nous organisons pour
descendre dans la vallée faire tes prises de sang les jours dits.
Nous nous organisons pour sortir malgré tout et profiter
doucement de nos sentiers préférs.
Un soir, en m’allongeant près de toi, je te trouve encore
plus livide, presque phosphorescent. Au petit matin, ton front est moite, ta
respiration saccadée. Je saisis le thermomètre et connais le verdict avant même
que l’instrument se mette à bipper désespérément : tu as 40° de fièvre.
Nous appelons l’hôpital. Tu n’es pas transportable jusqu’à
Lyon. Il est décidé de t’évacuer vers l’hôpital le plus proche, celui de
Thonon.
Quand je sangle ta ceinture de sécurité, tu as sombré dans
l’inconscience. Je plonge dans une terreur sans fond, et Gautier, serré dans
mes bras, également. Je crève de trouille en pensant ne plus jamais te revoir.
Nous regardons la voiture s’éloigner. Je sanglote pendant
que Gautier me regarde, les yeux grands ouverts. Au fond de moi-même, seule en
haut de ma montagne, je hurle.
De désespoir, d’impuissance et de peur.
De désespoir, d’impuissance et de peur.
Minute après minute, j’imagine le chemin que vous parcourez.
Quarante minutes depuis votre départ, êtes-vous arrivés ? As-tu été pris
en charge ? Es-tu revenu à la vie ?
Non, quarante minutes, c’est trop court pour réaliser un tel
trajet et trouver l’hôpital. Cinquante minutes, une heure, je berce Gautier,
interdit. Nous ne déjeunons pas. Gautier ne s’assoupit pas. Nous attendons.
Enfin, Papa appelle. Ils te gardent, ils vous gardent pour
un temps indéterminé.
Et ton frère et moi sommes prisonniers des sommets, sans
voiture, ni moyen de transport pour quitter la station. Les minutes s’écoulent
et forment des heures. Les heures se succèdent. Gautier reste prostré. Et moi,
je mets un masque pour ne pas pleurer, et ma voix tremble quand je prononce
quelques mots.
Au bout de quelques jours, tu vas mieux. Et au bout d’une
semaine, tu es sur pied.
Minute après minute, j’imagine le chemin que vous parcourez.
Quarante minutes depuis votre départ, est-ce la voiture qu’on devine au loin ?
Non, quarante minutes, c’est trop court pour revenir de
Thon. Cinquante minutes, une heure, je berce Gautier, assise au bout de la
route. Nous ne déjeunons pas. Gautier ne s’assoupit pas. Nous attendons.
Et enfin, tu es là, vous êtes là. Nous sommes réunis, tous
les 4.
Encore un jour dans les montagnes, et puis il faut
redescendre, une nouvelle séance de chimio t’attend et je dois reprendre le
travail.
Lorsque tu retrouves l’hôpital le lundi, nous apprenons ton
changement de médecin référent. Nous aurons désormais affaire au chef de
clinique.
Je suis là, toujours, je lis, encore et j'ai les tripes retournées. Je me dis qu'il ne faut plus que je vienne lire ce témoignage, mais je n'y arrive pas.
RépondreSupprimer@bientôt
Quelle solitude dans cette souffrance familiale !
RépondreSupprimerheureusement que nous sommes 4 et que nous avons pu compter sur nos parents !
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