les mains dans l'argile : toi, nous et la leucémie # 33

Un peu avant Noel, nous rencontrons dans le couloir un jeune couple, une petite fille. La maman est ravissante et …manifestement enceinte. La petite fille te virevolte autour, grimpe sur les genoux de ses parents, taquine ses grands-parents, court et s’ébat un peu plus loin, ravie de jouir tranquillement d’une si riche salle de jeux.
On s’assied sur des petites chaises. On s’observe.
Papa et moi devinons qu’ils viennent d’arriver. Qu’ils viennent d’apprendre.
Les parents reniflent, les yeux des grands-parents sont rouges et quand ils serrent Lola dans leurs bras, ils la pressent fort et enfouissent leur nez dans ses cheveux fins.
Profitant du fait que leur fille se soit un peu éloignée, ils nous soufflent « Mais que va-t-il se passer ? Pour de vrai ? ».
Alors Papa et moi avons respiré profondément. Nous nous sommes consultés du regard. 
Fallait-il dire la souffrance infinie ? Les hémorragies,  les infections et la terreur de perdre son enfant ?
J’ai esquissé un pauvre sourire et j’ai dit « vous et Lola êtes au meilleur endroit possible ».
Dehors la nuit tombait, les gens se hâtaient de finir leurs achats de Noel et nous avons chuchoté pendant des heures autour de cette table d’enfant, dans une salle de jeux parée de guirlandes. Il était coiffeur, comme son père ; elle était esthéticienne. Le bébé devait naître au printemps.

Lola commença son traitement. 
A son poignet était accroché le bracelet en plastique de l’hôpital, celui qu’on vous passait à chaque admission dans le service, avec son code-barres et l’accès à votre dossier médical. En cas d’urgence, un bip renseignait le médecin de garde.  Et le temps gagné pouvait vous sauver la vie.
Sauf que. Sauf que l’innocent bracelet entailla la peau douce de son poignet.
Les traitements l’avait déjà beaucoup affaiblie et la bactérie qui s’installa dans cette minuscule entaille enfla, enfla, et l’emmena très loin. 
Très loin en salle d’opération, où l’on enleva la chair de son bras pour ne laisser que l’os en espérant stopper l’infection. Très loin, quelques jours plus tard, où on l’amputa du bras.

Quand j'ai rencontré son père, quelques jours après et si peu, si peu de jours après leur arrivée, on s'est serrés très fort l'un contre l'autre et son papa murmura « dieu soit loué, elle est en vie ».

Commentaires

  1. Je voulais juste vous dire que je vous lis à chaque fois.
    Et à chaque fois, je suis touchée.
    Je mesure la gravité et l'horreur d'un quotidien avec la maladie, c'est comme une guerre, la dimension du monde en devient destructurée, sans repères et absurde.
    Je vous souhaite beaucoup de résilience dans votre monde en reconstruction.
    Très sincèrement, Sylvie

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    1. Merci Sylvie. Quand nous avons quitté l'hôpital, après 26 mois, nous avons mesuré l'immense privilège d'en sortir avec un enfant en rémission. Et nous avons décidé que cette épreuve était notre chance, puisqu'elle nous avait révélé l'essentiel. Depuis, on s'accroche, on s'interroge et on avance!

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  2. J'ai lu, tout lu... tu écris si bien, et c'est si dur.. beaucoup de pensées, je nous retrouve dans certains passages même si la malformation d'Oscar était plutôt simple. Même s'il n'a pas été facile de laisser son bébé à peine né partir se faire opérer, et même si finalement on n'a pas le choix, je suis admirative devant votre courage et surtout celui de ces petits guerriers.

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    1. Merci!
      Nous en parlions l'autre jour avec Stanislas. Je crois que les enfants malades, en tous cas les plus jeunes, ont la sagesse suprême du lacher-prise : ils acceptent et se battent, parce que c'est comme ça. Et parfois ils cherchent même à prendre en charge l'angoisse de leur entourage.
      Quand on regardait Stanislas, on se disait " bon, à nous d'être à la hauteur"....

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  3. Se voir quelques mois plus tôt, remonter le temps à travers une autre famille, autour d'une enfant pleine de vie... comme cela a dû être étrange et terrible à (re)vivre. Et puis l'évolution, différente, si tragique et absurde (pour le bracelet qui doit sauver la vie...)... Oh, comme l'attente de la suite m'angoisse, pour Lola, pour vous, pour ce que vous avez vécu...
    Je me joints au premier commentaire pour vous souhaiter la résilience.
    Merci de me donner encore une fois l'occasion de savourer la valeur de la vie.

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    1. C'était exactement cela : étrange et terrible.
      Et on se disait, "on ne peut pas dire la vérité, on ne peut pas leur cacher non plus, alors qu'est ce qu'on pourrait dire qu'il leur fera du bien sans être un mensonge".

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  4. La dureté des traitements et leurs conséquences sont invraisemblable chez l'enfant. Je comprends que cela soit plus fulgurant et violent expliqué par la multiplication cellulaire, l'enfant est programmé pour ... Mais alors, du coup, qu'en est-il de ces traitements dont parlait la presse dernièrement ? Ceux qui ont moins d'effets secondaires, ceux qui sont prometteurs ?

    Effet d'annonce à l'occasion "d'une journée mondiale" du ? Pourquoi c'est si différent d'un enfant à un autre ?

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  5. Merci pour ton passage chez moi! :)
    Je réalisais que ça faisait un bail que je n'étais pas venue par ici mais en fait, je me souviens pourquoi maintenant... Parce que ces récits, si bien écrits, me glacent le sang, même s'ils reflètent la réalité. Lire ça c'est se projeter soi même avec son enfant et ça me terrifie.
    Je suis admirative de votre courage et je vous souhaite une vie pleine de force et de richesse.
    Et je repasserai quand même, tes cousettes sont plus jolies les unes que les autres! :)

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