Les mains dans l'argile : toi, nous et la leucémie #25

Le 6 août au soir, tu es rentré à la maison pour le week end. Tu as quitté l’hopital en courant et tu es tombé, comme chaque semaine, quelques mètres plus loin. L’ivresse de la liberté te faisait oublier que tes jambes ne te portaient plus.
Le 7 août, à 6 heures du matin, des contractions m’ont réveillé. Ton petit frère profitait de ces deux seuls jours de liberté pour pointer son nez avec un mois d’avance.
A 7h15, nous étions devant la maternité. Moma nous attendait et est partie avec toi pendant que nous nous hâtions vers les urgences.

Ivre de douleur et de fatigue, j’ai accepté la péridurale. Je me suis abîmée dans un espace-temps glacial et sans repères. Je savais que la psychiatre de l’hôpital avait laissé un mot pour qu’on ne m’envoie pas dans une autre maternité. Pour que je n’aie pas à expliquer non plus l’absence, probable, de ton papa.
Gautier est né et a crée autour de lui une bulle de douceur.

Le professeur qui me suivait nous avait fait la surprise d’une chambre particulière, tout au bout d’une aile inoccupée ou presque. Dans la plus grande discrétion,  tout avait été fait pour rendre possible ta visite.
Et tu es venu le lendemain, ému et fier. Ta rencontre avec Gautier a été un de ces moments parfaits. Vous vous êtes regardés. Vous vous êtes reconnus. Tu es devenu tout pour ton frère et il est devenu tout pour toi.


Et puis tu as dû nous quitter pour réintégrer ton propre hôpital. Cela a été un déchirement et pour la première fois, depuis de longs mois, tu t’es cabré, tu as refusé de te plier au programme. Tu as pleuré et crié.
Dans ma chambre, je me suis couchée, ton frère langé serré dans mes bras, j’ai fermé les yeux et j’ai souhaité arrêter le temps.

Le lundi, Popa et Moma sont venus me chercher.
 Au milieu de toutes ces familles réunies et joyeuses, j’ai cru me noyer.  Je voyais des enfants surexcités venir chercher le petit dernier, je voyais des pères émus qui sanglaient les nacelles dans les voitures. Je voyais la fête. Et je nous voyais nous, naufragés et séparés.

Il n’y eut de première nuit. Gautier ne dormait pas. Eveillé, il geignait doucement. Il refusait le sein et ne dormait que par tranche de 45 minutes.
Je le serrais dans le porte-bébé, bien fort contre moi et des heures durant, je tournais dans l’appartement.
Plus tard, lorsque je reprendrai le travail, ce sera Moma qui reprendra le flambeau et regardera, nuit après nuit, les heures pousser les heures et le ciel enfin s’éclaircir


Aujourd’hui encore, je me sens responsable de l’angoisse de Gautier et de ses insomnies.
Aujourd’hui encore, il lui arrive de se réveiller en pleine nuit et de te chercher.
Aujourd’hui encore, il cherche des prétextes pour s’endormir dans tes bras. Et il n’y a que quelques mois que nous vous avons installés chacun dans un lit, dans une même chambre, proches mais séparés.
Aujourd’hui encore, il se met à hurler quand il est question d’hopital.
Aujourd’hui encore, lorsque nous parlons de quelqu’un perdu de vue, il demande «  Il est malade ? Il est mort ? »

Il aurait fallu que je gère mieux ma détresse, il aurait fallu que je lui, je nous, ménage une bulle de sérénité. Mais la maladie t’a volé ton enfance, a volé ma grossesse et l’insouciance de ton frère.

Commentaires

  1. Boum, ces articles toujours un coup de poing, et toujours délicats en même temps. Merci pour ce partage.

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  2. Quelle jolie photo... Tut ce que tu écris sera aussi utile pour Stanislas que pour Gauthier, c'est sûr.
    Tu écris toujours aussi bien...
    J'en profite pour te féliciter pour ton changement de travail, j'espère que tout va bien.
    @bientôt

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    1. Le changement est un peu dur!Mais d'ici quelques mois cela roulera ;-)

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  3. Tu sais, je te lis à chaque fois et chaque fois, cette même émotion à tes mots écrits, livrés ici...Tu me touches beaucoup dans ce que tu sais en dire...Je t'embrasse fort, ainsi que tes deux petiots .....

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  4. Tu apprendras à ne plus t' en vouloir, peu à peu, seul le temps peut .
    Lorsque mon deuxième fils a fait une encéphalite herpétique, il avait 14 mois, je venais d accoucher, sa soeur avait 3 jours. Alors je comprends ce que tu écris du naufrage et de la culpabilité. Pour moi cela fait 21 ans et ce sont deux adultes dont je suis fière et qui restent intensément complices, l une brillante et sociable et son frère presque jumeau aussi brillant dans sa différence.
    Écrire fait un bien intense et le sourire qui se voit est radieux :-).
    Douce journée à vous.

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  5. Qu'il est dur ce sentiment de culpabilité.
    Et que c'est difficile d'être parent, surtout dans ces moments là.
    Accepter d'être humain, reconnaître que l'on a fait ce que l'on a pu et pouvoir repartir sur de nouvelles bases apaisées.
    Voilà ce que je vous souhaite avec plein de jolis petits bonheurs sur votre chemin de cicatrisation.

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  6. Cette photo, cette relation entre les frères que tu décris, ta culpabilité, mais tu as traversé une épreuve telle que tu ne devrais pas te sentir coupable. J'ai les larmes aux yeux. Je t'embrasse.

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  7. je lis à chaque fois ... et ce #25 me touche le plus. Mes 2 filles sont si proches et complices que j'imagine tes 2 petits gars !
    Je t'embrasse

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  8. De même, comme Marie-Fo, j'ai déjà pleuré très souvent...
    Mais comme Syle, ce billet est celui qui me touche le plus (juste après celui où tu évoquais ta grossesse et où je t'écrivais déjà que tu avais fait de ton mieux et même bien au-delà de tout ce que tu aurais imaginé pouvoir faire...) Je pense comme Za, oui, et comme Mathurine aussi.
    Je te souhaite de tout cœur de réussir à guérir de cette culpabilité, peut-être en pensant aux choses positives que vous a apporté cette terrible épreuve (oui, j'ose écrire cela...), car vous avez su en tirer des des forces, des complicités et des leçons de vie, qui sauront panser vos blessures, combler vos failles et vous faire avancer vers des bonheurs toujours plus complets, j'en suis certaine... Courage, encore... et surtout Merci, et Bravo, encore et encore.
    Désolée d'avoir mis 8 jours à écrire...

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